La société se numérise et « le » numérique devient un fait social total

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Introduction : un fait social total


À l'issue d'une histoire fascinante et fulgurante (40 ans entre l'arrivée des ordinateurs dans les foyers dans les années 80 et aujourd'hui), le numérique est devenu un fait social total. Ce terme, qui nous vient de l'anthropologue Marcel Mauss, désigne un phénomène social qui concerne tous les pans de la société : l'économie, la politique, le juridique, le matrimonial.

Petite histoire d'un adjectif substantivé

Numérique, d’un adjectif technique à un substantif

Numérique ! Voilà bien un terme qui ne mérite plus aucune explication en 2024.Mais derrière ce terme, « numérique », devenu d’un usage quotidien, répété ad nauseam, se cache une grande complexité sémantique, c’est à dire dans le sens linguistique de ce mot, politique, et presque philosophique. Si vous n’êtes pas convaincus, lisez la suite !

Il est toujours stimulant de se rappeler que le terme numérique est avant tout un adjectif, censé qualifier ce qui s’évalue en nombre, est représenté en nombre. Représentez-vous deux armées devant vous, l’une compte 2 000 soldats, l’autre seulement 1 000 soldats : la première est en supériorité numérique.

Lorsque des appareils techniques ont commencé à stocker, traiter et transmettre de l’information en la représentant en nombre, on a commencé à parler d’appareils, ou de systèmes numériques. C’était le cas des ordinateurs bien sûr, mais aussi des appareils photos numériques, des microphones, des câbles, etc. Aujourd’hui, la grande majorité de nos infrastructures, équipements et services techniques sont numériques : ils stockent, traitent et transmettent de l’information représentée sous forme de nombres.

La fulgurante démocratisation de ces nouveaux systèmes numériques, avec les ordinateurs, Internet dans un premier temps puis le Web et surtout les smartphones dans un second temps, a peu à peu conduit à diluer, jusqu’à effacer la dimension technique de l’adjectif numérique. On a alors commencé à parler d’économie numérique, de société numérique, de transformation numérique, de fracture numérique. Numérique restait un adjectif permettant de qualifier un sujet, mais il avait déjà perdu son caractère technique, puisque l’économie numérique ne transmet a priori pas d’information représentée en nombre…

Enfin, parachevant le processus, l’adjectif numérique est devenu substantif, c’est à dire qu’il est devenu le sujet lui-même. Il est désormais tout à fait commun de parler de numérique, du numérique. Il est d’ailleurs devenu fréquent que le numérique soit invoqué comme la cause de tous nos maux, ou à l’inverse, comme la solution à tous nos problèmes.

Le numérique, un terme polysémique


Aujourd’hui, on dit que le numérique est un terme polysémique, c’est à dire qu’il a plusieurs sens, plusieurs significations.

Le numérique peut servir à nommer l’ensemble des techniques de l’information et de la communication. On y retrouvera par exemple et en vrac les ordinateurs et autres équipements personnels, les réseaux informatiques, ou encore les infrastructures, les réseaux et les terminaux de télécommunications.

Il permet de caractériser des usages découlant d’appareils numériques, que ce soit pour faire des recherches sur internet, publier une image sur Instagram, réaliser une visio sur Zoom.

Il permet aussi de caractériser ce qu’on appelle les NBIC (NBIC pour Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) et l’intelligence artificielle.

Le numérique, un phénomène pervasif et un nouveau paradigme


Vous comprenez maintenant pourquoi parler de numérique, dire que le numérique est un bienfait ou un danger pour l’humanité, est périlleux compte tenu de son caractère polysémique. Pour se réconcilier avec cette complexité, on peut peut-être envisager deux niveaux de langage.

Le numérique comme nouveau paradigme, cette nouvelle façon de comprendre notre monde et notre accès à la connaissance et à l’information, peut être compris comme un terme volontairement englobant. C’est bien le numérique avec tout ce qu’il comporte qui est un phénomène pervasif1, c’est à dire qu’il pénètre toutes nos activités, y compris les plus intimes. C’est également le numérique dans son ensemble qui constitue une révolution, que les chercheurs en sciences humaines comparent avec l’invention de l’imprimerie. Une révolution qui commence par la façon dont l’humain interagit avec les connaissances, et se répand ensuite dans tous les pans d’une société.

Mais pour pouvoir discuter et parfois débattre du numérique dans un domaine précis, pour pouvoir le critiquer, pour pouvoir appeler à le transformer, il nous faudra sans doute faire l’effort d’affiner notre vocabulaire. Au lieu de parler de numérique, parler de technologies numériques pour parler de l’intelligence artificielle ou de la blockchain. Parler d’équipements numériques pour évoquer des ordinateurs personnels, ou d’infrastructures numériques pour parler de réseaux.


Le numérique et l'économie


Les particularités du numérique

L’information numérique est un bien non rival
L’architecture du web favorise la publication et l’intelligence collective
L’externalité positive est une des caractéristiques centrale du web
L’exemple du Pagerank
L’exemple des réseau

Les lois de l'économie numérique

Rendements croissants = « scalability »
Effets de réseau
Modèles d’affaire biface
Réduction des coûts de transaction

Logique de croissance exponentielle : « Winner takes all ». Mais aussi « Move fast and break things » et « mieux vaut demander pardon que permission ».

Avec l’arrivée du numérique, puis celle du Web, de nombreuses entreprises se créent
Des fournisseurs d’accès à Internet
Des éditeurs de logiciel
Des plateformes de e-commerce
Très vite, ces entreprises se mettent en quête
De modèles économiques
D’investissements pour soutenir leur croissance

Zoom sur les GAFAM

Les cinq plus grosses valorisation boursière
Des points communs
Capter l’attention
Créer des écosystèmes
Maîtriser la chaine de valeur (production, édition, diffusion)
De très grosses différences
De modèles économiques
De vision

Des modèles alternatifs

Le numérique : intangible, immatériel
Coût de copiage quasi nuls

Le commun : remise en question de la propriété intellectuelle
Creative Commons
Logiciel open source
Logiciel libre

Le monde du libre et de l’open source est vieux comme le web, peu connu et pourtant il est partout :
Dans les navigateurs (Firefox, Chromium)
Dans les serveurs réseaux (Linux)
Dans le code de beaucoup de logiciels

De grosses entreprises participent : Google, IBM, Microsoft
Le marché mondial des services open source triplera de 2017 à 2022 (Étude de ReportBuyer)

Les wikonomics

Terme venant de Wikipedia (2001)
Principe de la collaboration massive et l’usage de technologies open source
Depuis le « web 2.0 », les usagers d’internet peuvent produire et partager comme jamais
Images : Flickr, Pixabay, Unsplash
Vidéos : Youtube, Vimeo, Peertube
Connaissance : Wikipedia, blogs, sites personnels

L'économie collaborative

De multiples plateformes favorisent la collaboration entre « pairs »
Services P2P ou pair à société : Uber, Mechanical Turk, Foule Factory
Vente entre pairs : Leboncoin, Ebay
Location de biens : Drivy, Airbnb, Samboat
Partage de bien : Blablacar, Couchsurfing
Adhésions/dons à une association : Helloasso
D’autres vont permettre à la « foule » de s’unir autour d’une idée ou d’un projet
Crowdfunding
Crowdsourcing
Pétitions en ligne : change.org, avaaz.org

En débat :
Économie collaborative ou économie de services ?
Répercussion sur le travail (Uber, Deliveroo, etc.)
Financements ?
Captation par la plateforme des externalités positives ?
Dépendance à une plateforme ?

Les enjeux économiques posés par le numérique

1. Monopoles et abus de position

Les grandes plateformes, notamment les GAFA et les BATX sont aujourd’hui en situation de quasi-monopoles
Le réseau Internet, pensé pour être distribué, s’en retrouve à nouveau centralisé autour de ces services
Une très grande dépendance s’est créée vis à vis de ces acteurs, notamment :
Google : moteur de recherche,
Facebook, Twitter, YouTube : moyen de s’informer
Amazon : recherche de produits à acheter

Les géants du web profitent de leur position et de leur trésor de guerre pour :
Assécher leurs concurrents
Racheter leurs concurrents (Facebook qui rachète Instagram et Whatsapp)
Copier leurs concurrents (Quand ils ne peuvent pas les acheter)
Resserrer leur emprise sur leurs consommateurs (écosystèmes fermés)
Aspirer leurs partenaires : éditeurs de contenu notamment (médias, articles de presse)

=> Réponse européenne : DMA/DSA

2. L’absence de l’Europe

Entre les GAFAM américains et les BATX chinois, l’Europe compte les points et se contente de consommer (et de défendre les consommateurs => CNIL)
Les enjeux du numérique sont donc concentrés aux USA et en Asie, notamment :
Algorithmes et big data
Intelligence artificielle
Infrastructures 5G
La France fait toutefois preuve d’un volontarisme important vis-à-vis de l’économie numérique :
Label French Tech
Création d’incubateurs nombreux, notamment à Paris
Investissements de la Caisse des dépots, plusieurs appels à projet (PIA)

3. Confiance et régulation

Des entreprises plus fortes que les états
Le droit a toujours un temps de retard
La question éternelle des données personnelles
La transparence des algorithmes
La manipulation des plateformes
La captation de l’attention (manipulations cognitives)

4. Les enjeux d’éducation et de formation

Plus de 80 000 emplois à pourvoir dans le numérique en 2018
De grandes difficultés de recrutement
Des usages numériques encore très ségrégés
Une formation tout au long de la vie désormais indispensable mais encore floue :
La place de l’entreprise
Les modalités de formation

5. Les questions sociales

Le travail du clic / Digital labour / Cybertariat
Les conditions de travail dans certaines entreprises
Le droit à la déconnexion
Le futur du travail
La dématérialisation des services publics/privés

Le numérique et la (géo)politique


Le numérique et la (pop)culture


Le numérique et les médias


Le numérique et la société